Société


C’est ici un regard critique porté sur l’organisation sociale et les travers qu’elle engendre.

De la réalisation des ambitions et des luttes de pouvoir qui en sont le corollaire en passant par la récente évolution des classes sociales, l’esclavage qu’engendrent stress et compétition, le travail et les valeurs qu’il véhicule, l’emploi, jusqu’à l’exclusion et au regard que nous lui accordons.

Une analyse critique qui invite à partir à la recherche des « mirages » -les illusions du domaine des émotions- causes de tant de maux.

Une étude qui affirme qu’il n’y a pas de fatalité et que l’on peut évoluer vers une société de partage.

Reconsidérer l’éducation et la formation, c’est offrir une voie pour y parvenir.

 

Extraits du livre :

Quelques constats

Si la vie est un jeu, le jeu de certains consiste à faire croire aux autres qu’ils ne jouent pas. Et ils sont ceux qui croient s’amuser le plus.

J’ai « roulé ma bosse » en France et en plusieurs autres pays sur trois continents, à différents échelons, depuis le monde ouvrier jusqu’au monde politique en passant par celui des affaires, et par le chômage. Cette expérience laisse percevoir, quel que soit le milieu ou niveau hiérarchique, que les similitudes de caractères correspondent fréquemment à des situations comparables.

Cette expérience vécue à l’écart d’un milieu protecteur –la famille, les amis–, construite sans pression émotive extérieure, rendit probablement mon esprit plus sensible à la nécessité de m’écarter des préjugés ; à la nécessité de penser par moi-même.

 

Mon école c’est le peuple avec ses doutes, ses certitudes, ses angoisses voilées, ses pudeurs, ses interrogations parfois naïves ou mal formulées mais souvent vraies et pertinentes. Les gens du peuple ont souvent des moments de grande lucidité, toutefois, dans ces moments-là ils sont mal à l’aise. Ce qui les conduit à cet état, c’est leur propre incapacité à manifester, dans la cohérence, leur désaccord envers une société rétrécie par l’égoïsme, l’esprit obscur et partisan.

 

La médiocrité n’est pas dans les peuples. Même si cela est mal exprimé, ils aspirent à plus de générosité, de beauté, de grandeur d’âme, de justice. La médiocrité appartient aux classes dirigeantes qui, pour aboutir à leurs fins, utilisent sournoisement les peuples et les maintiennent dans un état de doute, de scrupule, d’aliénation.

Les personnes les plus humbles savent que pour évoluer dans la société, et pour que la société elle-même évolue, il faut faire des sacrifices. Le leur dire ou le leur expliquer c’est les prendre pour des imbéciles. Au lieu de cela, on devrait l’expliquer à ceux qui détiennent le pouvoir. Apparemment, eux n’ont pas compris, surtout lorsqu’il est question de leur propre sacrifice.

La « conversation de bistrot » est révélatrice de la pertinence de certaines réflexions populaires. Mais, presque toujours, ces réflexions s’arrêtent ou sont dévoyées à l’instant où ceux qui les manifestent découvrent qu’ils s’engagent dans une responsabilité : « Les choses pourraient aller mieux mais, pour les expliquer, je dois balayer mes propres repères, et m’appuyer sur la construction de nouveaux repères fragiles ; je n’ai d’autres références que celles que j’ai moi-même forgées ; et j’ai peur, parce qu’on ne m’a pas appris à penser par moi-même. » […]

 

Choix de vie

L’homme est apparu libre. C’est probablement pour le rester, avec à sa charge de faire évoluer les conditions de sa liberté : de son devenir. Si donc quelqu’un vous dit qu’il a raison ou que vous vous trompez, notre conseil : restez libre d’en juger. Si ce quelqu’un use de sa puissance, de ses prérogatives ou de son influence, et vous contraint par le lieu, le temps, la volonté, l’intelligence, l’argent ou tout autre pouvoir, alors méfiez vous. Même s’il vous jure son amitié, celui-là est un ennemi, un adversaire du libre arbitre. Et qui accepte s’y associe.

 

La vie est une expérience. Elle est donc un risque. Naître c’est vivre ; c’est assumer la fin du parcours. Vivre, c’est pour chacun assumer son expérience personnelle avec ses propres risques. Il est cependant légitime de vouloir minimiser les risques. A défaut de cela on court le risque de limiter dans le temps sa propre expérience.

Soyons sereins. Sans être téméraires, négligeons un peu la vie sans risque, la vie sans audace. Vivre sans risque ce n’est plus vivre : c’est mourir. C’est vivre de la seule expérience du passé, sans espoir d’expérience et de connaissance futures. C’est bien cela mourir.

 

Les travailleurs

Dans tous les domaines, lorsqu’on sait rendre les hommes conscients de la véritable valeur de leur service, par la noblesse des tâches –surtout les plus humbles–, tout ce qui est à la limite des possibilités humaines devient réaliste et réalisable. Il s’entend que cette reconnaissance sociale de la noblesse des tâches humbles, doit s’accompagner d’une reconnaissance matérielle conséquente.

 

Les décideurs politiques semblent tout ignorer de la satisfaction du travailleur qui a la chance de pouvoir concevoir, élaborer volontairement et accomplir son œuvre sans pression compétitive.

Particulièrement dans les métiers manuels qui demandent de la créativité, il se dégage une certaine identification à la matière traitée et à l’esprit de l’objet réalisé. Cela est peu dévoilé, par pudeur. L’ouvrier est un créateur. Il fait corps avec l’outil qu’il utilise et la matière qu’il transforme. Il s’identifie au service qu’il rend ou à l’esprit qu’il véhicule. L’ouvrier amoureux de l’objet réalisé en parle comme d’une maîtresse : elle est belle. Cependant, il n’en dit pas plus.

Ces travaux manuels lorsqu’ils sont accomplis volontairement, deviennent un moyen de réflexion, d’observation, d’évolution et de communication. La sérénité de ces manuels, trouvée dans une considération sociale légitime, leur permet d’avoir une vision dénuée de passion troublée.

Quelques études tendent à démontrer que le travail à la chaîne peut être pour d’aucuns, dans l’accomplissement de tâches répétitives, une libération du cerveau pour porter la réflexion dans d’autres domaines. Cela est possible. Cependant, la disponibilité contraignante n’est certainement pas la meilleure des solutions pour faciliter la libération du cerveau.

Même si l’esclavagisme peut sembler économiquement et intellectuellement soutenable à bon nombre de personnes, il est humainement contradictoire au vu des moyens technologiques disponibles. Dans cette perspective, si un emploi manuel contraignant ne peut être remplacé par des robots, cela suppose qu’il exige une compétence ou une présence humaine telles, qu’elles justifient une rémunération substantielle, grâce à laquelle l’intéressé aura la possibilité de réduire la durée de sa contrainte.

 

Le monde du travail manuel, plus particulièrement, a été dépouillé de sa substance.

Proposer un bac accessible à tous les jeunes est une démarche stérile voire nuisible, un cache-misère social ou une grave méconnaissance de ce qui fait la réalité, la richesse d’une société. Les sots qui ont installé ce bac pour tous, ignorent les possibilités d’épanouissement dans un travail par lequel on devient plus curieux avec des compétences supérieures au bac.

Ce bac pour tous est adapté aux jeunes par catégories. Contrairement à cette hypocrisie, on doit favoriser le développement mental des jeunes, dès le plus jeune âge. On doit ouvrir devant eux, toutes grandes, les portes de la pensée, sans leur bourrer le crâne. Cette nouvelle éducation conduira alors facilement les jeunes à un repère, à un bac de la capacité à penser par soi-même ; et ensuite, à des compétences facilement accessibles, compatibles avec l’inclination de chacun.

Ainsi, dans la société actuelle avec le bac pour tous, des jeunes dont les qualités correspondaient à certains métiers qu’ils auraient pu enrichir d’intelligences diverses, ces jeunes, avec leurs certitudes bachelières, se sont parfois précipités vers le flot des suffisances intellectuelles appauvrissantes et indigestes.

 

Le chômage

Quiconque ne devrait-il pas souffrir devant les injustices perpétrées par un pouvoir politique mis au service de l’économie ?

Quiconque ne devrait-il pas souffrir de son incapacité à comprendre, sinon à agir, devant l’inconséquence des dirigeants qui affirmaient, encore récemment, que la raison impose de créer du chômage pour, prétendument, sauver des emplois ?

La bonne voie, est-ce de créer la misère pour éviter la misère ?…

Pour quelle raison a-t-on envoyé au chômage des personnes dans la pleine force de l’âge ; dans la pleine expression de leurs compétences professionnelles, et de l’expérience humaine favorable à l’esprit social le plus accompli ? N’est-ce pas indécent ?

Mais, par-dessus tout, « sous prétexte de rentabilité n’a-t-on pas voulu déstructurer la société » ?

L’exclusion par le chômage n’est-elle pas plutôt une menace, clairement déclarée, pour tous ceux qui manifesteraient quelque liberté d’esprit et de désobéissance au monde parfait que nous prépare le prétendu libéralisme ?

 

On peut comparer l’efficacité de la lutte contre le chômage à des milliers de pompiers, dont chacun serait équipé d’une grande échelle, du sommet de laquelle il verserait des seaux d’eau pour circonscrire un incendie de forêt. C’est ainsi qu’actuellement on prétend résoudre le problème du chômage : des moyens considérables, inadaptés ou incohérents, troublant la vue et entretenant la crainte du chômage.

 

Partage et coopération

Ensemble, on obtient et l’on garde des biens plus précieux et plus rares que chacun pour soi et seul contre tous.

Le partage et la coopération sont une aide pour la découverte et l’enrichissement de l’autre par la découverte et l’enrichissement de soi-même.

Sagesse et conscience sont fruits jumeaux. Ce sont les fruits du même arbre. Plus ils sont haut perchés, plus ils reçoivent de lumière et plus ils sont beaux. Il nous appartient d’aller les cueillir. L’entreprise peut sembler périlleuse. L’obstacle peut faire naître ou alimenter l’angoisse. Ne restons pas au sol la tête inutilement levée. Agissons !

Allons vers l’obstacle ! calmement. Fermement ! Regardons-le sans frayeur. Comme dans tout exercice, après l’avoir approché et abordé, nous nous sentons plus sûrs et plus forts au fur et à mesure que nous le gravissons. Nous sommes de plus en plus attirés vers le sommet par la découverte de toujours plus de beauté. Plus la beauté découverte est grande et plus nous escaladons pour nous en approcher… De quoi ? Nous agissons attirés par la beauté. Le but de notre ascension… nous l’avons oublié. Soudainement, étonnés, il est à notre portée.

 

Sélection professionnelle

La société actuelle, fondée sur la compétition, consomme les compétences comme elle consomme des produits. A l’inverse, une société humaine saine, conduite par un idéal, doit employer les compétences.

La différence avec le produit c’est que le détenteur de la compétence s’enrichit par osmose, moralement et mentalement, en enrichissant les autres. Employer toutes les compétences consiste donc à créer un solide ciment social qui relègue la compétition ; qui transforme la société en rapprochant tous les éléments qui la composent.

 
La recherche à tout prix de diplômes, pour l’insertion dans la vie professionnelle, est un mirage de la société tout entière. Ils sont plus dénonciateurs de la faillite sociale qu’un moyen véritable de positionnement pleinement utile pour tous.

 

La valeur des diplômes doit être pondérée par la preuve à fournir des capacités réelles de chacun dans le travail. Actuellement, ils représentent de simples archétypes. Ils sont inculqués selon une idée linéaire de la vie qui avancerait dans un itinéraire sans déviations possibles : itinéraire balisé par les bien-pensants successifs ; itinéraire duquel, les esprits libres qui franchiraient les limites se voueraient à l’exclusion.

De véritables diplômes doivent traduire des valeurs de consciences  […]

 

L’ambition légitime d’émerger doit provenir moins des études diplômantes que du désir de servir pleinement ce à quoi, par quoi et à travers quoi l’on se destine.

Nous serions bien inspirés à mieux observer les enfants. Sans nécessité de sélections artificielles préalables, ils savent, eux, se positionner dans les groupes qu’ils rencontrent ou qui se forment inopinément, ou intégrer un autre groupe qui leur convient mieux. Ils nous font souvenir comment un groupe humain peut, avec ses différences de caractères, de compétences et de moyens, se constituer harmonieusement quand l’intervention intempestive des adultes ne conduit pas sottement ces jeunes à vouloir les imiter dans leurs a priori, leurs fantasmes et leurs problèmes.

 

L’autodidacte

La grande chance de l’autodidacte est de ne pas participer aux bourrages de crânes. Cependant, même lorsqu’il pense avoir découvert sa voie, la raison à suivre, il lui reste à confirmer que la véritable objectivité ne s’accorde à aucun laisser aller, à aucune compromission ni bassesse.

 

Il est parfois difficile de comprendre les autodidactes. Il en est ainsi non parce qu’ils le sont mais ils le sont parce qu’il en est ainsi.

 

Éducation

La véritable éducation est une aide à l’élévation de la conscience.

 

Bernard Werber [1] dit très justement : « On ne perçoit du monde que ce qu’on est préparé à en recevoir. » Bertrand Schwartz précise : « J’ai rencontré dans ma vie des centaines de gens fabuleux qui se sont révélés quand on leur a donné une chance d’exprimer leurs talents. Notre société hiérarchisée n’a pas de respect pour les faibles : aidons un maximum de gens à aller au maximum de leurs possibilités. »



[1] : Bernard Werber, La Révolution des Fourmis. Éd. Albin Michel, Paris (1996). Les autres citations sont tirées du même ouvrage.

 

L’éducation est ce moyen permettant de comprendre pour évoluer et non pas d’assimiler pour mieux dominer.

 

L’incongruité touristique, voyageuse stérile et voyeuriste, dénature le voyage. Le véritable voyage est celui des Compagnons de naguère qui partaient pour échanger : apprendre et transmettre leur savoir ; s’imprégner de cultures différentes et transmettre leurs manières culturelles. Et lorsqu’ils se posaient, transmettaient aux plus jeunes tout leur savoir.

 

Le conformisme, celui promu par un esprit rétréci, est caractérisé par la satisfaction à se fondre dans une masse à l’irresponsabilité standardisée par l’égoïsme. Cette masse, attractive comme toutes les masses, engloutit ceux qui ont la légèreté de rester sans volonté réelle d’avancer.

Au lieu de cela, la particularité des êtres humains est de disposer du pouvoir d’émerger d’un standard médiocre, de devenir intelligemment remarquables.

« Il n’est de bon maître qui n’ait d’élève qui le dépasse. » Soyons plus grands que ceux qui nous ont précédés ; aidons ceux qui nous succèdent à être plus grands que nous.

Au lieu de prétendre enseigner en bourrant des crânes, agissons pour apprendre à nos successeurs l’immensité de notre ignorance, de tout ce qui reste à découvrir.

Encore la sagesse qui ne vieillit pas, avec Socrate [1] : « Plus j’avance et plus je réalise que je ne sais rien. […] Alors que je discutais avec mes disciples, m’instruisant moi-même beaucoup en leur compagnie. » Et avec Platon [2] : « Toutes les fautes que l’homme commet viennent de cette sorte d’ignorance qui fait qu’il croit savoir ce qu’il ne sait pas. » […]


[1] : Nestor Matsas, Les Mémoires de Socrate. Éd. Les Belles Lettres, Paris (1983). Les autres citations sont tirées du même ouvrage.

[2] : Platon, La République.

 

Un grand homme n’est pas celui, bardé de diplômes, qui connaît tout de sa discipline –ou pour le moins beaucoup de choses– et sait appliquer pour tel problème telle solution inscrite dans sa mémoire. Bien entendu la mémoire et une compétence professionnelle sont très utiles. Cependant, un grand homme est celui qui, sans a priori ni préjugés, sait utiliser sa capacité mentale consciente forgée par l’expérience, pour proposer ce qui est le meilleur, le plus juste, afin de le mettre au service du plus grand nombre.

 

[…] L’éducation est une aide à l’élévation de la conscience. Alors que la formation intervient ensuite dans l’apprentissage des techniques. Entre les deux, l’enseignement transmet les règles et découvertes sur lesquelles repose la société.

 

Le fini est bien fini. Passons à l’infini ! Plus on découvre et plus on entr’aperçoit cet infini qui n’en finit plus et qu’il nous reste à définir.